Le retour du double nom en Suisse?

Nous reproduisons ici un article paru dans 24 Heures du 25 janvier 2024, signé par Simone Honegger.

«Cela simplifiera la vie de nombreuses familles»

Le double nom pourrait bien faire son retour en Suisse. La révision de la loi devrait séduire en terre vaudoise, selon Dominga Leuenberger, de la division de l’état civil.

Il n’aura même pas tenu dix ans… L’actuel droit en matière de nom de famille date de 2013 mais il a fait un flop! En cause: la suppression du double patronyme des couples mariés et des partenariats enregistrés. Le Conseil fédéral vient de donner son soutien à un projet, pas encore débattu en plenum, qui réintroduit le double nom. Les enfants pourraient également en bénéficier, que leurs parents soient mariés ou non, et même si chacun garde son propre nom. Lors de la consultation en 2022, le Conseil d’État vaudois s’était exprimé en faveur du texte. Interview de Dominga Leuenberger, adjointe de la cheffe de la division de l’état civil vaudois.

Combien de révisions le droit du nom de famille a-t-il subies?

Le choix du double nom est apparu en 1988. Avant, les femmes n’avaient pas d’autre choix que de prendre le nom de leur mari. À partir de cette date donc, elles ont pu choisir entre deux solutions: soit prendre le nom de leur époux, soit garder leur propre nom mais suivi de celui de l’époux. Pour les enfants, en revanche, seul le nom du père prévalait. Le changement de 2013 fait suite aux critiques de la Cour européenne des droits de l’homme. La CEDH a jugé le droit du nom inégalitaire en Suisse, puisque l’homme impose son patronyme à toute la famille. Le double nom a ainsi été supprimé en faveur du nom unique. Le couple peut décider d’un nom commun ou alors chacun garde le sien. En revanche, il faut se mettre d’accord pour le patronyme attribué aux enfants.

Mais l’esprit de la loi a raté sa cible, puisqu’on revient en arrière…

Ce n’est pas étonnant. Outre le retour de nombreuses femmes déçues de devoir abandonner le double nom, nous avons également pu documenter cette inégalité au sein des couples. Nous avons établi un bilan à l’interne de l’état civil vaudois en décembre 2014 déjà. Presque deux ans après l’entrée en vigueur de la loi actuelle, 70% des femmes mariées prenaient le nom de leur époux. Nous avons même eu le cas, en 2015, d’une femme qui a recouru jusqu’au Tribunal fédéral suite à notre refus de l’enregistrer avec un double nom après le mariage.

En cas de nouveau régime, faudra-t-il donc s’attendre à de nombreuses demandes de la part de la population?

Considérant les chiffres dont je viens de vous parler, on peut en effet s’attendre à une vague de demandes pour revenir au double nom. À cela s’ajoutent tous les parents non mariés qui ne peuvent actuellement pas établir de lien visible avec leur enfant puisqu’un seul nom fait foi.

Quelles seront les futures démarches administratives?

Nous n’avons pas encore tous les détails du projet, mais sur la base du rapport de la Commission des affaires juridiques du National de 2022, aucun délai n’était prévu pour obtenir un double nom. Nous partons donc de l’hypothèse que les couples pourraient effectuer les changements en tout temps. Il suffira d’un rendez-vous de dix minutes à l’état civil pour signer une déclaration qui coûte 75 francs. Certaines communications se font automatiquement, notamment pour les impôts ou la commune. Reste qu’il faudra quand même changer plusieurs documents, comme la carte d’identité, le passeport, ou encore le permis de conduire avec à chaque fois quelques frais.

Qui nous dit que le régime ne changera pas une nouvelle fois après ça?

Je ne le pense pas, ou en tout cas pas de sitôt! Avec ce nouveau projet, on ouvre encore davantage le champ des possibles. On peut même garder le nom de l’ancien époux avec le nouveau, si une femme en ressent le besoin au regard de la filiation. Cela permet de refléter les multiples constellations familiales et coller au plus près de l’évolution de la société. Cela va simplifier la vie quotidienne de nombreuses familles.

Photo par Sandy Millar sur Unsplash