L’adoption par les couples de même sexe

Nous reproduisons ci-après un article paru dans l’édition du 13 juillet 2018 de 24Heures, signé par Florent Quiquerez.

«C’est bizarre de devoir adopter son propre enfant»

Le parcours des premiers parents «arc-en-ciel» de Suisse romande n’est pas si simple

Depuis janvier dernier, cinq couples romands ont pu profiter de la nouvelle loi qui autorise l’adoption pour les couples homosexuels. Selon notre enquête, une cinquantaine de demandes sont en cours de traitement. La plupart émanent de couples de femmes. Une situation qui s’explique sans doute par le fait que les démarches liées à la procréation médicalement assistée sont moins compliquées et moins chères que celles qui mènent à la gestation par autrui. Deux méthodes qui sont par ailleurs toujours interdites en Suisse.

Certains cantons romands se révèlent bien plus rapides que d’autres dans le traitement des demandes. On constate de grandes différences dans l’application de la loi fédérale. À Genève par exemple, les requêtes sont faites à la Cour de justice, alors que dans le canton de Vaud elles sont traitées par la Direction de l’état civil. La procédure repose sur une enquête sociale. «On fait travailler des gens pour régulariser des situations familiales qui fonctionnent parfaitement», relève Catherine Fussinger, de l’Association faîtière Familles Arc-en-ciel. «C’est bizarre de devoir adopter son propre enfant», raconte une mère qui n’a jamais fait de différence entre son fils biologique et son fils adoptif.

La Suisse romande reconnaît ses premiers enfants «arc-en-ciel»

L’adoption dans les couples de même sexe est possible depuis le 1er janvier. C’est désormais une réalité pour cinq enfants. Enquête

Marie* est devenue maman deux fois en quelques semaines. En avril, elle donnait naissance à un petit garçon. En juin, elle adoptait officiellement le fils de sa partenaire. «Quand nous avons reçu la réponse positive du Canton, nous avions envie de le crier à tout le monde. Il y avait beaucoup d’émotion et de reconnaissance.»

Avec sa compagne, cette Jurassienne fait partie des premiers couples romands qui ont pu profiter de la loi qui – depuis le 1er janvier – autorise l’adoption pour les homosexuels à certaines conditions (lire l’encadré). Selon nos recherches, une cinquantaine de demandes sont en cours. Cinq ont abouti: une dans le canton de Vaud, une dans le Jura et trois à Neuchâtel.

Parmi ces cas, une très grande majorité de couples de femmes. Une situation pas si étonnante: les démarches liées à la procréation médicalement assistées – la voie choisie par Marie et sa compagne – sont en effet moins compliquées et moins chères que celles qui mènent à la gestation pour autrui (les mères porteuses). Deux méthodes qui sont toujours interdites en Suisse, à la différence de plusieurs autres États européens.

Parcours du combattant

Ce que montre aussi notre enquête, c’est que certains cantons romands sont bien plus rapides que d’autres dans le traitement des demandes. Si la loi est fédérale, son application est cantonale, avec parfois de grandes différences. «Par exemple à Genève, les requêtes doivent être faites à la Cour de justice, et, parmi les différentes pièces à fournir, il faut une lettre de motivation de la personne qui fait la demande d’adoption, illustre Catherine Fussinger, de l’Association faîtière Familles Arc-en-ciel. Ce n’est pas nécessaire dans le canton de Vaud, où la procédure se fait auprès de la Direction d’état civil.» À Berne, c’est un véritable parcours du combattant avec strip-tease fiscal, bilan de santé et enquête de voisinage. Certains cantons exigent aussi une audition de l’enfant à partir d’un certain âge. «Avec cette hétérogénéité des pratiques, il est compliqué d’aider les familles», reconnaît Catherine Fussinger. Des discussions ont lieu pour harmoniser les processus.

«Dans le Jura, c’était assez simple», confie Marie. Avec sa compagne elles ont foncé dès que la loi est entrée en vigueur. «Le 3 janvier, nous prenions déjà contact. L’assistante sociale qui devait nous suivre n’était pas encore au courant des démarches à entreprendre.» Quelques semaines plus tard, elles recevaient la liste des papiers à obtenir. Après l’envoi de lettres de motivation, quelques papiers administratifs et un rapport positif des services sociaux, l’affaire était dans le sac. Une formalité.

Jusqu’à 30 000 enfants

Mais pour les familles arc-en-ciel, tout n’est pas toujours aussi simple. Dans les grands cantons, les services sont parfois submergés par les demandes, alors qu’ils n’étaient pas forcément préparés à cet afflux. «Sachant que le coût des démarches atteint entre 1000 et 1500 francs, on peut se demander si tout cela fait sens», réagit Catherine Fussinger. Il ne s’agit pas d’une simple procédure administrative, la procédure repose sur une enquête sociale. «On fait travailler des gens parfois pendant presque une année pour régulariser des situations familiales qui fonctionnent parfaitement.» Selon elle, le dispositif, conçu pour des familles recomposées, n’est pas adapté à la réalité que vivent les familles arc-en-ciel, où enfants et parents sont ensemble depuis toujours.

«C’est bizarre de devoir adopter son propre enfant, reconnaît Marie. Je ne fais aucune différence entre mon fils biologique et mon fils adoptif. Cette démarche, nous l’avons faite pour obtenir un papier, qui ne change rien dans notre vie de tous les jours, mais qui est ô combien nécessaire pour assurer la sécurité de nos enfants, s’il devait arriver quelque chose à moi ou à ma compagne.»

Il n’existe pas de chiffres précis sur le nombre d’enfants qui vivent au sein d’un couple de même sexe en Suisse et qui seraient donc potentiellement concernés par le nouveau droit. Seules des estimations sont disponibles, et elles sont très larges. On parle de 6000 à 30 000 enfants. Ce dernier chiffre ne se limite toutefois pas aux enfants vivant au sein d’un couple de même sexe, mais englobe ceux vivant dans une famille dont au moins l’un des parents se considère comme lesbienne, gay, bisexuel ou trans.

Situation ubuesque

Un autre point de la loi peut aboutir à des situations ubuesques. La législation impose en effet un an de vie avec l’enfant au dépôt de la demande. «Dans une famille, l’aîné sera déjà protégé, alors que cela ne sera pas le cas du cadet», détaille Catherine Fussinger. Notre famille jurassienne est justement dans cette situation. La conjointe de Marie devra attendre encore au moins dix mois avant de pouvoir, elle aussi, devenir une deuxième fois maman. Aux yeux des autorités, du moins.

*Prénom d’emprunt

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